Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants

Pour dessiner un peu le décor, reprenons les choses par la base et causons hétéronormativité. Encore ? Bah ouais. Car, comme vous le savez déjà, la fameuse (et fatidique) question de « faire des enfants ou pas » est intrinsèquement liée à la vision que nos sociétés ont du couple, voire même de la vie en général. 

Sous-titre : ça fait des millénaires qu’on se mange du discours construit autour du principe de « la vie c’est fonder une famille et avoir des enfants ». C’est d’ailleurs une bonne grosse part de l’idéologie patriarcale et de sa vibe essentialiste - aka considérer le rôle des femmes au sein de la société comme celui de donner la vie (poke le mouvement fémelliste). 

Dans son ouvrage Le Couple et son histoire, le sociologue Eric Smadja l’explique d’ailleurs très bien, puisque, selon lui la réalité du couple est de vivre « ensemble avec le projet implicite ou explicite de « se reproduire », participant ainsi au vaste programme de conservation de l’espèce. » 

Bref, vous connaissez la chanson : vouloir avoir des enfants et en avoir est une espèce de gros panneau dans lequel personne ne saurait pas tomber… Comme en témoignent la fameuse phrase du « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », ou encore l’inquiétude de votre (belle) famille à chaque repas de Noël concernant votre projet d’enfanter. 



Quelqu’un a dit « se mettre la pression » ? 

En fait, cette injonction à la parentalité est si forte qu’elle s’imprime dans tous les coins et recoins des mythologies sociétales. Pourquoi peint-on en clown triste la meuf célibataire ? Pourquoi le droit à l’avortement est-il encore un problème pour certain·es ? Pourquoi les femmes sont-elles moins payées et moins appelées à évoluer dans la sphère professionnelle ? Pourquoi juge-t-on sévèrement celles qui préfèrent leur carrière à la possibilité d’être mère ? 

Dans son livre J’ai décidé de ne pas être mère, l’autrice Chloé Chaumet en parle d’ailleurs très bien : « Je contredis les tentatives sans cesse renouvelées de reconduire une logique ancestrale, d’une profondeur immémoriale et sans appel. Nullité vs générosité, manque vs accomplissement, anormalité vs principe universel. Ce que je suis se dit comme un défaut, une carence, une anomalie. Je me retrouve définie par ce que je ne suis pas. » 

Ce que son témoignage nous dit, en filigrane ? Que la pression exercée sur les personnes qui se construisent socialement en tant que femme à avoir des enfants est telle qu’on ne peut pas juste se dire qu’on n’a pas envie d’en faire. Il faut toujours en faire toute une affaire. 



Faire des enfants ou comment faire quelque chose de sa vie

Maintenant qu’on a dit tout ça, il devient clair que la question d’avoir des enfants ou pas est très proche de celles type « qu’est-ce que je fais de ma vie ? »... Puisque, comme on l’a vu, il est attendu des femmes qu’elles se « réalisent » pleinement en devenant mères (coucou le mythe de la maternité comme accomplissement et épanouissement suprême). 

C’est donc tout l’enjeu du débat sur lequel on se penche aujourd’hui : aka comment offrir aux femmes la possibilité de choisir une autre manière de se réaliser qu’à travers la maternité. Les combats féministes du 20ème siècle à nos jours en témoignent : avoir le droit d’avorter, pouvoir bâtir sa vie sur sa carrière… Tous ces choix s’opposent à ce que l’autrice Chloé Chaumet assimile à ce qu’était, dans les années 50, le « mythe de la femme au foyer épanouie, façonné par les médias nord- américains. »  Poursuivant sa réflexion, elle nous explique : « En cette période de règne symbolique de la matrone trois en un, bonne ménagère, cuisinière hors pair et mère de famille accomplie grâce au salaire de son mari, « finir seule » était davantage synonyme de déchéance sociale qu’à l’heure actuelle. »

Pour vous la faire courte : les choses bougent. En témoignent d’ailleurs les chiffres recueillis à l’occasion d’une étude réalisée par le magazine Elle et l’IFOP - selon laquelle « 34% des Françaises estiment que la maternité n’est pas nécessaire ou souhaitable au bonheur d’une femme, contre 12% en 2000. »



Ne pas vouloir d’enfants : histoire d’un tabou

Si nos sociétés occidentales permettent plus facilement aujourd’hui aux personnes de s’épanouir autrement qu’en fondant une famille, il n’en reste pas moins que le non-désir d’enfant est un sujet tabou, qui est toujours difficile à aborder ou à faire accepter, même au sein des communautés féministes. 

Un bon exemple pour illustrer cette problématique ? La terminologie utilisée pour « définir » une personne à utérus qui ne souhaite pas enfanter. Oui, vous le connaissez : le fameux (et terrible) terme “nullipare”. S’emparant du sujet, Chloé Chaumet argumente : “Le non-désir d’enfant reste un sujet tabou. Particulièrement en France. Les mots manquent pour dire ce désir qui n’en est pas un. J’ai à ma disposition plusieurs termes, tous négatifs: ne pas vouloir d’enfant, ne pas ressentir l’envie de procréer, refuser de devenir mère, choisir de ne pas être mère ; dans un registre plus démographique, «infécondité volontaire». Sur les formulaires de santé, l’horrible « nullipare », à la croisée du vocabulaire médical et zoologique, sert à cataloguer ces êtres étranges constituant un déni de ce qui garantit la perpétuation de l’espèce humaine: sa capacité à «donner la vie».”

Pourtant, et toujours selon cette étude réalisée par Elle et l’IFOP, « 18% de l’ensemble des Françaises comptent avoir des enfants en 2022, contre 28% en 2006 ». Which means qu’il est parfaitement normal de ne pas savoir si l’on veut des enfants ou pas. Et qu’il est tout à fait courant de se dire qu’on n’en veut pas du tout.



Nullipare ascendant éco-anxieux·se

S’il est établi que la proportion de personnes en capacité de procréer mais qui ne souhaite pas le faire est en constante augmentation ces dernières années, qu’en est-il des raisons pour lesquelles on choisit d’avoir des enfants ou pas ? 

Dans la préface du livre Avoir un enfant ou pas ?, Charline Schmerber met les pieds dans le plat en associant le non-désir d’enfants de certain·es à leur conscience écologique : « Depuis quelques années, la question de la maternité se combine, dans l’enceinte de mon cabinet, à celle de l’éco-citoyenneté. Rester nullipare est, pour certaines de mes patientes éco-anxieuses, un acte d’engagement. C’est s’opposer à la venue d’un enfant dans un monde où les conditions environnementales difficiles n’offrent pas d’autre option que celle de l’adaptation, faute de prise de conscience et d’anticipation suffisantes. » 

Bref : en concordance avec les chiffres présentés dans l’étude de l’IFOP et du magazine Elle, la part des personnes en capacité de procréer diminue - et plus encore dans nos générations (coucou les millenials et la gen Z), qui sont très concernées par les enjeux climatiques et sociétaux, au point de remettre en question de A à Z les idéaux et mythologies du vivre ensemble qui leur ont été léguées par leurs parents. 

Ce qui n’a absolument rien de déconnant, évidemment… Car comment ne pas se poser la question du « dans quel monde vais-je donner la vie à mon enfant ? » quand on se prend 24/7 aux infos des actualités climatiques déprimantes ? 



Réinventer la parentalité : des horizons désirables et désirés

Ceci étant dit, il y a une autre part du sujet que l’on se doit d’aborder pour bien répondre à notre question du jour : celle, justement, d’avoir envie de faire des enfants - mais de ne pas savoir quand ni comment. En jeu ? La possibilité de réinventer la maternité en autre chose que via le modèle normé de la famille nucléaire. 

Un exemple très parlant est celui du fameux « faire un bébé toute seule » - un choix que les personnes en capacité d’enfanter font de plus en plus depuis les années 70, comme en témoignent les chiffres fournis par l’étude IFOP x Elle, selon laquelle « une française sur deux sans enfant et en capacité de procréer est prête à « faire un bébé toute seule » ». 

Si ce parcours vous intéresse ou que vous vous posez des questions à ce sujet, vous pouvez suivre de près le parcours de la journaliste et autrice Judith Duportail sur Insta, qui a détaillé et raconté son parcours avec la PMA. 

Dernier bastion de la bataille à bataille à mener (et pas des moindres) : le droit et l’accès à la PMA et à la GPA pour toustes, y compris, donc pour les couples homosexuels et les personnes trans. 

Parce que c’est bien tout le fond du sujet : pouvoir choisir librement si on veut des enfants ou pas. À 27 ou à 42 ans. Solo ou en adoptant. En ayant recours à la FIV ou à la GPA. Bref : vive la liberté de choix et n’oubliez pas que vous avez le droit de prendre votre temps pour réfléchir - enfants ou pas enfants. 

 

I. Maalèj