Le petit adelphe queer du Festival

 

Les plus ancien·nes d’entre nous se rappellent de l’arrivée de Glee dans nos vies (de sombres sites de streaming illégal et des manip’ obscures sur Megaupload) avec une avalanche de personnages gay, bi, lesbiennes, non-binaires, trans et plus encore. Si beaucoup de choses sont à discuter sur les représentations raciales et le côté token de certains personnages queer, on ne peut pas retirer à Glee le fait d’avoir été une des premières séries révolutionnaires en termes de représentation des sexualités et du genre à la télévision (on n’oublie pas The L World ou Buffy, of course).

 

Cependant, cet élan qui nous a légué un héritage comme Sex Education ou Euphoria n’a pas du tout eu la même trajectoire sur grand écran. Contre toute attente, les premières représentations remontent à la naissance même du cinéma avec, par exemple, The Gay Brothers (1895) au nom sans équivoque. Sur la question de l’identité de genre, les premières tentatives sont plus tardives. On peut mentionner Sylvia Scarlett de Georges Cukor (1936) avec Audrey Hepburn où une femme se grime en homme pour protéger son père, une situation qui créé de nombreux sous-entendus sexuels. En France, il y a, par exemple, Olivia de Jacqueline Audry (1950) en France qui aborde pour l’une des premières fois une relation lesbienne à l’écran. Ces deux films défraieront les critiques et ne deviendront des icônes de la filmographie queer que bien des décennies plus tard. (Pour le Rocky Horror Picture Show, on repassera).

@MickRock - Rocky Horror Picture Show

 

Parallèlement et développée dans la communauté, il y a aussi toute la mouvance du cinéma crypto-queer (préalablement crypto-gay). Des films comme Top Gun (Tony Scott, 1986), Batman & Robin (Joel Schumacher, 1997) ou Point Break ont ce je-ne-sais-quoi qui permet de distinguer assez nettement (ou plus subtilement) une queerness palpable. Si de nombreux·ses réalisateur·ice·s ont trouvé une manière de s’exprimer en floutant les lignes, pour d’autres films il s’agit plus de symboles chéris par une communauté malheureusement mal-habituée à se voir représentée. Nous vous conseillons d’ailleurs la page instagram @laurens_shyboi, véritable archive vivante de l’histoire complexe et fournie des représentations queer.

 

Un peu plus de 10 ans après la mort de Cyril Collard et la sortie de son film-symbole Les Nuits Fauves (1993), la Queer Palm est créée sous l’impulsion de Franck Finance-Madureira, journaliste spécialisé dans le cinéma et concerné par les questions de représentation queer sur grand écran.

Une palme politique

 

La Queer Palm est lancée en 2010 et a comme objectif de récompenser un long métrage et un court-métrage par un jury soigneusement sélectionné. La particularité : la sélection n’est composée que de films qui traitent les questions d’identités ou d’orientation de genre. Si cela peut paraître une évidence que le cinéma se penche sur ces questions maintenant, ce n’était pas vraiment le cas il y a 13 ans. Sur environ 120 films présentés à Cannes en 2010, seulement 6 rentraient dans les critères de sélection de cette palme. Pour le président-fondateur du prix, cette évolution du Festival démontre deux choses : à la fois que nos sociétés évoluent et que ces thématiques sont de plus en plus présentes mais également, que la création de prix comme celui-ci permet la valorisation de ces sujets et donc attire l'œil des programmateur·ices. Depuis, ce sont, en moyenne, 18 films qui sont choisis parmi la sélection officielle et les sélections parallèles (Un Certain Regard, Semaine de la Critique, Quinzaine des Cinéastes, ACID).

 

Franck Finance-Madureira invoque deux sources d’inspiration pour la création de cette récompense (à présent incontournable). Premièrement, c’est le Teddy Award, prix queer de la Berlinale créé en 1987 qui lui donne conscience du retard du Festival de Cannes en la matière. Ensuite, c’est la découverte du film Shortbus de John Cameron Mitchell présenté au Festival en 2006. Ce film-bombe-explosive très cru comporte beaucoup de scènes de sexe mais isoumet surtout à l’écran des sexualités et des sentiments rarement montrés auparavant.

© Shortbus - 2006

 

La Queer Palm est une récompense officiellement reconnue par le CNC et le Ministère de la Culture français. Existant depuis une dizaine d’années, elle a également eu le temps d’asseoir une certaine légitimité qui en fait l’une des sélections alternatives les plus suivies du Festival depuis quelques années. Pari gagné ! De plus, le jury (différent chaque année) a également la réputation d’avoir un très bon nez. En effet, parmi les précédents films lauréats de la Queer Palm on compte notamment : Laurence Anyways (2012), 120 Battements par Minute (2017), Portrait d’une jeune fille en feu (2019).

La Queer Palm en 2023

 

Cette année, la sélection intègre 13 long-métrages et 7 court-métrages. Les palmes seront décernées le 26 mai 2023, veille de la cérémonie de clôture. À la tête du jury nous retrouvons John Cameron Mitchell, le réalisateur de Shortbus, de How To Talk To Girls at Parties (2017) ou Rabbit Hole (2010). Il est accompagné de l’actrice française Louise Chevillotte, le réalisateur belge Zeno Graton, la réalisatrice américano-philippine Isabel Sandoval et du journaliste et programmateur français Cédric Succivalli. Une équipe mixte et internationale qui devra faire son choix entre des films qui ont déjà beaucoup fait parler d’eux depuis le début du Festival comme How to Have Sex de Molly Manning Walker ou L'anatomie d’une chute de Justine Triet.

How to have sex © Nikolopoulos Nikos

 

L’autre gros chantier de Franck Finance-Madureira est la création prochaine d’un « QueerPalm Lab », un projet d’incubateur aussi ambitieux qu’inspirationnel. Au programme : la sélection de 5 candidat·e·s et de leur premier film (toujours traitant des thématiques chères à la Queer Palm). Ces 5 réalisateur·ice·s seront mentorisé·e·s pendant une année entière voire amené·e·s à participer à des résidences et échanges de bonnes pratiques. Pour cette première édition, Lukas Dhont (ancien récompensé par la Queer Palm pour son film Girl en 2008) a déjà accepté de parrainer ces futur·e·s lauréat·e·s. Ça redonne un peu espoir tout ça, non ?

 

Et pour en savoir plus sur elleux, c’est par ici que ça se passe : @queerpalm