Plutôt Drunk in Love ou Why’d You Only Call Me When You’re High ?

 

Applause de Lady Gaga, Work Bitch de Britney Spears, Dark Horse de Katy Perry, Drunk in Love de Beyoncé, ou Diamonds de Rihanna : les reines de la pop ont toutes sorti des tubes charnières pour leur carrière cette année-là. 2013 est l’année de l’apogée de l’EDM, musique électro calibrée pour les clubs, portée par des artistes comme Calvin Harris ou Avicii. C’est à cette époque que la catégorie apparaît pour la première fois au classement du Billboard américain, le top mondial des meilleures écoutes qui paraît chaque semaine. 2013 marque aussi la peak era de la culture hipster grâce notamment à Tumblr et ses vibes folk. Mettez Radioactive des Imagine Dragon dans vos oreilles et on y est : ambiance couronne de fleurs dans les cheveux, murs en brique à Brooklyn, café torréfié, et guitare au coin du feu. Mais aussi ray-ban wayfarer, t-shirts Eleven Paris à moustache et autres petits souvenirs cringe.

 

Pour Valentin Portier, journaliste musical : « Cette année est un vrai renouvellement des esthétiques, avec d’un côté l’ultra pop et l’apogée de certaines chanteuses et de l’autre un pendant très hipster, avec l’arrivée de Lorde, Birdy, Of Monsters and Men, Lana Del Rey, The Lumineers… Sans cette première vague, je ne suis pas sûr que des artistes telles que Billy Eilish auraient pu autant exploser plus tard ». L’esthétique folk et hipster se remarque autant dans le style de musique que dans les clips, qui, en 2013, s’installent durablement comme un art à part entière. On se rappelle des yeux perçants de Lorde dans Royals et de l’histoire d’amour aux pointes roses de Taylor Swift dans I knew you were trouble. « On a assisté à l’âge d’or de Youtube je pense, avec les youtubers, que l’on connaît bien maintenant, qui ont commencé à vraiment se professionnaliser, et bien sûr une vraie explosion de l’art des clips, avec certains qui percent et commencent à passer la barre du milliard de vues, dont le premier, Gangnam Style, fin 2012 » souligne Valentin.

 

TikTok est au coin de la rue

 

Mais outre la création artistique visuelle on fire sur Youtube, 2013 marque aussi un tournant dans nos manières de consommer la musique. « Il y a notamment eu le début des challenges. Harlem Shake a été numéro un au Billboard, grâce à ça. Pour la chanson What Does The Fox Say, c’est pareil. Avec TikTok on retrouve la même mécanique. 2013 a changé la donne à ce niveau-là. C’est un vrai shift dans la manière de consommer et de promouvoir » explique Valentin. On note aussi la démocratisation de l’utilisation des plateformes comme Spotify ou Deezer, et le début d’un changement des pratiques d’écoute. Avec les streamers, les internautes deviennent curateurs de leur propre contenu, et créent leurs playlists. Fini la radio de papa et maman ou les albums à rallonge, c’est le début des petites playlists chinées et uniques. Cette manière d’écouter par « picorage » de titre plutôt que via l’achat d’un album en entier comme c’était le cas auparavant marque une vraie rupture. « Typiquement, c’est à partir de cette époque qu’on a plus retenu les singles plutôt que les albums. On se souvient que c’était l’année de Work Bitch pour Britney Spears, beaucoup moins de l’album Britney Jeans dont il est issu et qui est sorti la même année, pareil pour Macklemore, arrivé premier du Billboard annuel avec Thrift Shop et 5ème avec Can’t Hold Us, là où l’album The Heist n’a jamais été en tête » ajoute t-il. Aujourd’hui l’industrie connaît un nouveau chamboulement avec l’effet TikTok sur l’écoute et la diffusion de titres, au point où certaines maisons de disque refusent de produire des projets « pas assez tiktokables ». « TikTok change à la fois les codes de production visuelle, avec le passage du format horizontal au format vertical, mais aussi ceux du contenu musical, avec des sons de plus en plus formatés pour devenir des trends ».

 

On n’est pas sérieux quand on a 17 ans

 

Crise climatique, guerre en Ukraine, recul dans le monde de certains acquis sociaux… en ce moment, l’ambiance n’est pas à son prime, contrairement à 2013 où les horizons semblaient un peu plus sympathiques. « On entendait beaucoup moins parler de féminisme, racisme ou problématiques lgbt+ et cela à un impact dans la création musicale aujourd’hui. Les artistes, particulièrement ceux qui sont minorisés, comme Lizzo ou Stan Smith, deviennent les porte-paroles de certaines communautés, parfois malgré eux, et prennent en retour d’énormes backslashs, ce n’était pas le cas il y a dix ans » note Valentin. En 2013, Obama était réélu, le mariage pour tous était promulgué en France, les attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo n’avaient pas encore eu lieu… Bref, on a l’impression d’avoir vécu 1000 vies depuis. « La période nous apparaît comme idéale, mais en vérité, il faut aussi se dire que l’on écoutait beaucoup moins les minorités qu’aujourd’hui, et que les artistes étaient bien moins politisés » expose-t-il. Il faut le rappeler, 2013 est aussi l’année de l’appropriation du twerk par Miley Cyrus, et du tube hautement problématique Blurred Lines, dont le clip a été le théâtre d’une agression sexuelle subit par la mannequin Emily Ratajkowsky du chanteur Robin Thicke. 2013 est un petit bonbon délicieux en termes de musique, mais en dix ans plus tard le monde a changé, et tant mieux.

 

Hanneli Victoire