Rompre = quitter quelqu’un pour quelqu’un d’autre ?

 

Avant de vous parler de ma rupture sauce 2022, posons le décor : j’ai toujours été en couple. Depuis mes 15 ans. Depuis 15 ans tout court, d’ailleurs - puisqu’aujourd’hui, j’en ai 30. Mais attention : je n’ai pas passé ces trois quinquennats avec la même personne, loin de là. J’ai plutôt enchaîné les relations (sept, au total) sans jamais m’arrêter. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’une de mes relations a pris fin, j’en ai commencé une nouvelle. Pas le temps de réfléchir, d’être solo, de penser.

 

Pour être honnête, ce n’était même pas quelque chose de réfléchi, de prémédité. Être en couple, vivre des histoires d’amour… Ce mode de fonctionnement était chevillé à mon corps, à mon esprit. Peut-être parce que je n’avais pas eu l’opportunité d’apprendre à faire autrement.

 

Plus ou moins consciemment, je souffrais sans doute de ce que l’autrice et psychothérapeute états-unienne Colette Dowling appelle le Syndrome de Cendrillon. Ce qui signifie que je cherchais à trouver dans mes relations amoureuses une forme d’épanouissement absolu. Quelque chose qui suffise à satisfaire tous mes désirs et à me réaliser (coucou et pas merci la dépendance affective et l’hétéronormativité, comme on vous en parlait déjà ici).

 

Bref : je réalise aujourd’hui que si, bien souvent, j’ai quitté un partenaire pour un autre, c’est parce que j’étais incapable de faire ce choix révolutionnaire : quitter quelqu’un pour moi. Personne d’autre que moi. Pour être seule, rien que ça.

 

 

Comment rompre quand on ne sait pas être libre ?

 

Pourtant, j’ai toujours été une solitaire. Je n’ai jamais eu peur de passer du temps seule - bien au contraire. Mais voilà, depuis quelque temps, je suis bien obligée de le constater : je ne sais pas être seule, pour de vrai. Je ne sais pas être au centre de mon propre monde.

 

Le rapport avec ma rupture ? Je crois que comme beaucoup (beaucoup) de personnes qui se sont construites socialement en tant que femmes, j’ai surinvesti le champ de mes relations amoureuses. Au point, quelque part, d’avoir peur de ma liberté.

 

Je l’ai compris (notamment) en lisant l’excellent On ne naît pas soumise, on le devient de la philosophe Manon Garcia. Il y a, dans cet essai, cette phrase qui m’a frappée : « (...) les femmes qui se soumettent consentent à un destin qui leur est assigné après une sorte de calcul coûts/bénéfices, dans lequel les délices de la soumission pèsent lourd face aux risques de la liberté ».

 

Pour le dire autrement : si je suis aussi facilement passée d’une relation à une autre, si j’ai passé autant de temps à être « l’architecte du bien-être des autres » (comme le dit si bien Déborah Lévy dans Le Coût de la Vie)... C’est parce qu’il m’était quelque part plus évident de me mettre au service de mes partenaires, que de me choisir moi.

 

Parce qu’il y avait en moi un orage, un tiraillement, un conflit - une envie d’être seule conjuguée à la peur (panique) de l’être. D’être libre, quoi.

 

 

L’amour, du “je” au “nous”

 

Pour ne rien gâcher, il se trouve que j’ai toujours été très fusionnelle dans mes histoires d’amour. J’ai tout donné à mes partenaires. Parfois, jusqu’au sacrifice de mes propres désirs (...voire de ma santé mentale ou de ma personnalité).

 

Il y a quelques années, alors que j’élucubrais une fois de plus sur un motif type « Je suis bien dans ma relation mais je ne sais pas qui je suis »... Une de mes amies a utilisé la métaphore de la fusion nucléaire (oui, vraiment) pour m’expliquer ce qui (peut-être) ne me convenait pas dans ce schéma : « Lorsque deux noyaux légers se percutent à grande vitesse, ils peuvent fusionner, créant un noyau plus lourd : c'est la fusion nucléaire. Durant l'opération, une partie de l'énergie de liaison des composants du noyau est libérée sous forme de chaleur ou de lumière ».

 

Ce qu’elle voulait dire par là ? C’est que la fusion (entre deux atomes ou entre deux personnes) implique la dissolution des parties : on était 1 et 1 et d’un coup on ne fait plus qu’un. On passe du “toi et moi” au “nous”. On forme un “ensemble”.

 

Bref : le couple peut-être une machine à brouiller les limites entre le toi et le moi. Entre le je et le nous. De quoi se dire, pour filer la métaphore du nucléaire, que la seule manière de se retrouver est d’annuler la fusion par la fission. Aka de se séparer pour mieux se retrouver.

 

 

Tout ce que j’ai fait pour ne pas rompre

 

On ne naît pas soumise, on le devient, c’est vrai… Mais une fois qu’on l’a compris, qu’est-ce qu’on fait ? Il y a là un conflit de loyauté que j’ai tenté de résoudre avec toute ma créativité.

 

J’ai voulu concilier le couple et la liberté sexuelle. Le féminisme et les relations hétérosexuelles. Pour ça, j’ai redoublé d’efforts et imaginé des solutions qui sur le papier me convenaient mais qui en réalité m’épuisaient trop pour que je puisse en “profiter”.

 

En choisissant cette rupture, je pensais, quelque part, à toute l’énergie que je donne et qui me manque à moi. Parce qu’éduquer les hommes me fatigue. Parce qu’être en relation amoureuse me fatigue.

 

Mais parfois, souvent, par loyauté pour mes partenaires, je ne m’autorise pas à le penser. Enfin, pas vraiment. Pas au point d’abandonner. Parce que c’est bien ça dont il est question : laisser tomber. Une relation. Une personne.

 

 

Rompre n’est pas échouer

 

Réinventer l’amour, appréhender la façon dont les normes de genre se rejouent dans nos histoires de coeur, dire merde à l’exclusivité et au cis-thème… J’ai trouvé dans le féminisme tellement de ressources pour repenser mes relations amoureuses et ma manière de m’y impliquer.

 

Et plus je me renseigne, plus je me dis, AUSSI, que les outils que nous avons pour gérer et imaginer nos ruptures (à base d’autre chose que de gros dramas, pour le dire poliment) sont une conséquence directe du mythe de l’amour romantique (et des diktats qui lui sont associés). Celui qui dit que l’amour peut tout et doit tout - au point d’épuiser nos relations en les rendant impossibles. Au point de sacrifier nos libertés individuelles pour les faire tenir debout - quoi qu'il en coûte. Au point, aussi, de finir (bien souvent) par détester nos partenaires quand nos histoires se terminent.

 

Dans ce contexte, j’ai envie de vous dire que rompre a été pour moi un choix d’amour. Car je crois que si on n’évoluait pas dans un monde qui assimile si fort la rupture amoureuse à un échec, on aurait peut-être le champ (plus) libre pour imaginer les choses autrement.

 

On pourrait ainsi faire des “pauses” (salutaires), sans se retrouver à prendre des verres avec des ami·es qui nous regardent en mode « On sait très bien ce qu’une pause veut dire ».

 

On pourrait quitter quelqu’un·e que l’on aime en lui disant franchement que l’on veut explorer sa sexualité, sans avoir peur d’être slutshamée.

 

On pourrait dire à un·e amoureux·se qu’on ressent le besoin de réfléchir sur sa vie. Et que cela implique de ne pas se voir pendant deux ou trois semaines, sans avoir peur de le/la perdre à jamais.

 

On pourrait quitter quelqu’un que l’on aime, comme je l’ai fait, en lui disant « Tu sais, je ne sais pas ce que ça fait d’être seule et j’ai besoin de me sentir libre, de tomber amoureuse de moi ».

 

 

Vous trouvez ça irréaliste ?

 

Pas moi. Bien sûr, je ne vais pas vous dire que l’on n’a pas souffert. Je ne vais pas vous dire que tout glisse, facilement, sans efforts et sans tracas. C’est compliqué. Mais c’est aussi enrichissant. Inédit. Prometteur, quelque part.

 

Depuis ma rupture, il y a quelques mois, j’ai découvert beaucoup de choses sur moi. J’ai du temps pour créer. Du temps pour batifoler. Du temps pour penser à moi, pour me réinventer un espace qui m’est propre.

 

La personne que j’ai quittée ? Eh bien, je l’aime toujours. On se parle toutes les semaines. On est amis, parfois amants. On tâtonne, on cherche à faire autrement. On réouvre un champ de possibles.